Chacun Cherche son Chat…mais…Tous Tissent leur Toile

Publié le par lodicee

L’information semble être, de nos jours, le nerf de la guerre des organisations : systèmes d’informations, gestion de la relation clients, dossiers clients informatisés ou papiers, communications internes et externes, formations, rumeurs… Croit-on !

C’est dans l’individu, par son impossibilité à ne pas communiquer
[1], qu’il faut rechercher cette soif inextinguible d’informations et de communications. Si la communication entre individus est un besoin vital pour chacun d’entre eux, elle prend un tour particulier au sein des organisations.

L’individu, être social à défaut d’être sociable, en imposant ses réalités et ses perceptions, ou en tentant de repousser les assauts de celles des autres, délimite un périmètre dans lequel il pourra exercer une marge de manœuvre dans l’organisation.

Cette marge de manœuvre relative, utilisée dans l’action quotidienne, a été mise en avant par Michel Crozier, dans les concepts de l’analyse stratégique.
Un acteur, un individu dans une organisation, dans la terminologie de Michel Crozier, est déterminé avant tout par ses comportements et ses interdépendances avec les autres acteurs du système. « Au lieu d’être rationnel par rapport à des objectifs, [son comportement] est rationnel, d’une part, par rapport aux opportunités et à travers ces opportunités au contexte qui les définit et, d’autre part, par rapport au comportement des autres acteurs, au parti que ceux-ci prennent et au jeu qui s’est établi entre eux. »
[2]

Et de ces opportunités et de ses interactions, l’acteur peut obtenir une réelle influence voire du pouvoir dans le système organisationnel. Ce pouvoir, quatrième concept clé de l’analyse stratégique est, avant tout, « une relation [entre acteurs] et non pas un attribut. […] Plus précisément encore, il ne peut se développer qu’à travers l’échange entre les acteurs engagés dans une relation donnée.»
[3]

C’est par ce jeu d’échange que se nouent et se dénouent les liens de subordination, indépendamment du rôle hiérarchique. « La hiérarchie dans une organisation est quasiment incompatible avec l’exercice du dialogue »
[4] rappelle Peter Senge.
Et cette difficulté est exacerbée par une croyance tenace déjà évoquée : le pouvoir est dans la détention du savoir, de l’information, et plus le niveau hiérarchique est élevé, plus la concentration des informations rime avec pouvoir (le savoir étant par essence en haut de la pyramide, sinon à quoi bon chef !).
C’est plus dans la capacité à utiliser l’information que dans sa détention qu’il faut, aujourd’hui, voir le véritable pouvoir. Un pouvoir pour agir, non pour restreindre. Un pouvoir pour gagner en liberté de mouvement, pour interagir. « C’est parce que nous dépendons de l’autre que nous pouvons paradoxalement accroître notre autonomie et notre pouvoir d’influence. »
[5]

L’être humain est un être social, et même s’il a besoin de s’affirmer et d’un espace personnel, il n’en finit pas de tisser des liens. Au sein de l’organisation, la traduction est subtile.
Elle est faite de réseaux formels (les lieux de travail, les lieux de vie comme un restaurant d’entreprise, les réunions) et de réseaux informels (tel individu connaît untel d’un autre service parce qu’ils se côtoient à l’extérieur, par exemple).

Chacun étend, par ses relations et ses connaissances, son influence sur son entourage direct.En favorisant les contacts informels, le management instaure le principe d’un réseau fiabilisé : dans une organisation, « les difficultés éventuelles ne se situent pas au sein de chaque partie mais plutôt au niveau des relations entre ces parties. »
[6]

C’est d’ailleurs la prise en compte de l’organisation dans sa globalité qui permet, lors d’un changement, « que toutes les structures [de l’organisation] se sentent concernées par cette transformation, car une structure ne se limite pas à la réalisation de sa tâche mais participe à d’autres processus transverses avec les autres structures. »[7]

Cette approche des systèmes de relations, au sein des organisations, a été marquée par les travaux de Mark Granovetter sur l’encastrement relationnel, ou encastrement réticulaire dans le cadre des réseaux. « Le constat de base est que le jeu des acteurs est le résultat de la situation des individ
s dans le système de relations au sein desquelles ils se trouvent. […] L’action des individus est à la fois facilitée et limitée par la structure des réseaux sociaux dans lesquels ils s’inscrivent. »
[8]

Les relations entre les individus, les réseaux qu’ils créent, le pouvoir qu’ils leur accordent, constituent la meilleure source d’action et d’attraction au sein des organisations. Même les confrontations inhérentes aux interactions renforcent les liens.

Elles nourrissent les organisations des effervescences qu’elles génèrent, inscrivant l’individu comme le premier matériau de communication. Et c’est au management d’en faire bon usage pour trouver  le ‘middle of the road’ de Mark Granovetter.

L’individu est constamment bercé entre son besoin d’autonomie, la félinité toute humaine décrite par Cédric Klapisch
[9], et la nécessité arachnéenne de tisser encore et toujours de fragiles toiles, qui lui maintiennent des liens avec les autres individus.
Les prolongements de ces réseaux dépassent souvent le cadre professionnel, et l’émergence de nouveaux outils vient densifier, et brouiller dans certains cas,  les interrelations dans l’organisation.

 


[1] Xavier Molénat : Une logique de la communication – Sciences Humaines – Hors série n° 42 – La bibliothèque idéale des sciences humaines – Septembre/Octobre/Novembre 2003 
[2] Michel Crozier, Erhard Friedberg : L’acteur et le système – Editions du Seuil - Points n°248 – Paris 1992 – p.56
[3] Michel Crozier, Erhard Friedberg dans op.cit. p. 65 et 66
[4] Peter Senge dans op.cit. p.309
[5] Françoise Kourilsky dans op.cit. p.274
[6] Benoît Grouard, Francis Meston : L’entreprise en mouvement – Dunod – Paris 2005 – p.37
[7] David Autissier, Jean-Michel Moutot: Pratiques de la conduite du changement, Comment passer du discours à l’action – Dunod – Paris 2003 – p.87
[8] Henri Amblard, Philippe Bernoux, Gilles Herreros, Yves-Frédéric Livian: Les nouvelles approches sociologiques des organisations – Editions du Seuil – Paris 2005 – p. 260 et 261
[9] Cédric Klapisch : Chacun cherche son chat – Film de 1996 – Distributeur Studio Canal

Publié dans Relations Humaines

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